Historiks #02 : Méritocratiks
TL;DR
Cet article, dans la continuité du précédent, fait l'étude de "Memory Full", un livre qui prétend décrire l'histoire de la demoscene.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous allons voir ce qu'est une bonne démo pour l'auteur et comment la méritocratie est au coeur du narratif de l'ouvrage.
Elle est servie par une conception très particulière de la critique, de l'auto-promotion et du dénigrement de ceux qui sont considérés comme des usurpateurs de cette reconnaissance tant espérée.
Une bonne démo...
Pour comprendre le schéma directeur du roman "Memory Full", il est utile de comprendre que l'auteur a une conception très particulière de la demo.
Comme on va le voir, la démo n'est dans l'ouvrage principalement qu'une affaire de compétition, de paternité de techniques, de défis, de successions, d'héritages trans-générationnels et de classements divers. L'existence des groupes est d'ailleurs réduite à leur seule production régulière de démos.
Le résultat de cette compétition sert à établir une échelle du mérite et de la reconnaissance. Spécifiquement concernant Logon System et moi-même, comme nous allons le voir, une notion d'usurpation de cette reconnaissance va être sournoisement distillée dans tout le roman.
L'auteur pense qu'il faut souffrir pour créer des bonnes démos, et il ne s'amuse visiblement pas à faire les siennes, comme il l'indique ici :
Je ne partage pas cette conception ! Peut-être que pour une personne qui n'est pas informaticienne de profession, tout semble relever du défi et de l'austérité, mais pour un programmeur professionnel, la démo est un hobby ludique et généreux !
J'exprimais déjà cela en 1992 dans deux interviews. L'une réalisée par l'excellent graphiste Carlos PARDO (Made) dans le fanzine Disc Full 9 :
L'autre dans une interview réalisé par Richard FAIRHURST (CRTC) dans le magazine anglais Amstrad Action N°89 de février 1993.
Pourtant l'auteur pose comme postulat de base que c'est ma conception des choses dans le préambule de son chapitre sur les jeux, et que c'est finalement celle de tous les démomakers :
Qui peut bien être l'auteur de cette apologie de l'optimisation et de la compétition entre programmeurs ? S'agit-il de Longshot, Overflow ou peut-être Face Hugger ? Aucun des trois : ce sont les propos de Rémi Herbulot (...) Ils illustrent bien le fait que, contrairement au préjugé, les programmeurs de jeux n'étaient pas toujours animés par des motivations très différentes de celles des demomakers". Memory Full, page 8
De quel préjugé parle-t-il et quelles étaient ces motivations qui n'étaient pas de la compétition féroce entre programmeurs ?
Se pourrait il que des démomakers ou créateurs de jeux soient également animés par d'autres motivations que d'être les "premiers" à tout prix ?
Il aurait été plus judicieux de se baser sur un panel plus large de programmeurs de jeux et de démos de l'époque, pour leur demander quelle était leur conception du développement de jeux ou de démos, plutôt que d'isoler le propos d'une seule personne pour en faire une généralité.
Une approche bien plus réaliste, et encore vraie de nos jours, c'est que beaucoup de programmeurs essaient juste de faire de leur mieux, et pas dans l'idée d'écraser leur voisin. La démo est, pour beaucoup, d'abord et avant tout un défi personnel, et pas un moyen d'exister.
Si Overflow aime la compétition sous un angle amical, je peux dire que ce n'est pas vraiment le cas pour moi, et sans doute pas davantage pour Face Hugger, étant donné les échanges que j'ai eu avec lui.
Top Five !
Ce n'est pas un hasard si Hicks va instaurer en 2011/2012 un classement "top five" sur son portail Push'n'Pop, que plusieurs personnes auront alors déjà déserté suite à des articles au vitriol.
L'auteur, qui était alors devenu dans son sérail la nouvelle référence des codeurs, va s'étonner que ses critiques, parfois teintées d'une "légère" ironie envers les productions d'autres personnes aient entraîné des heurts.
Ces critiques auraient sans doute pu rester privées pour éviter de blesser les égos dans une communauté aussi restreinte, mais il va déjà à l'époque se prévaloir d'une conception sans appel de ce qu'est une bonne démo et dénoncer la bien-pensance.
Cet entre-soi va renforcer une forme d'élitisme assumée. Cela aura pour effet de faire fuir plusieurs personnes et contribuer à détériorer considérablement l'ambiance de la "scène" française. Il existait déjà quelques tensions, mais rien de ce niveau.
Réaction pavlovienne...
Quelques années plus tard l'auteur va s'étonner de la susceptibilité mal placée des personnes visées, et va même regretter qu'il ne soit plus possible de rien critiquer sans que cela suscite des crises diplomatiques :
Partant de ce constat, l'auteur ne me tiendra pas rigueur si je me permets d'apporter un regard critique sur son travail !
Petit retour dans le passé....
En avril 2013, Hicks présentait au monde sa démo "Still Rising" comme une réponse à la démo "Batman Forever" réalisée par Rhino en mars 2011.
Lorsque des remarques, pourtant assez élogieuses 👍👍👍 , seront faites sur le portail "Pouët" concernant l'appréciation de sa démo par rapport à celle de Rhino, lui et son fidèle admirateur Toms vont utiliser l'espace de commentaires du portail comme une tribune envers les personnes qui n'ont pas été assez dithyrambiques envers la démo.
Pour paraphraser Hicks, "on voit très bien ce qui se passe quand il subit une critique" :
In the CPC history, each effect here is technically the best (biggest zoomscroll, biggest rotozoom, finest kaleidoscope) or never seen before (lighted rubber bar, effects with 2 grounds, mondrian-plasma-zoom, fullscreen picture mixing perfectly 2 resolutions)... All in 65k!
Batman Forever will perhaps remain the favorite for the sceners who don't know much about the CPC (probably more receptive to the direction side). But Still Rising will for sure grab the first place for the people who know our platform well ;)
Perfect job!" Toms / Pouet 01/04/2013 https://www.pouet.net/prod.php?which=61177
Finalement, on se demande si c'est bien Longshot qui est "un tabou qu'il ne faut pas toucher et devant lequel il faut seulement s'incliner..." 🙄.
Dans son "making-of vengeur", l'auteur va qualifier les personnes qui ont eu l'outrecuidance de mal réagir ainsi :
"They probably lack of humor and demomaking culture". 🥳
D'autres chapitres du "making-of" sont du même tonneau. Y est décrite une conception binaire, peu inclusive, élitiste et méritocratique de la démo. Elle n'est principalement vue que sous le prisme de la compétition technique, minimisant l'appréciation artistique, l'émotion et le ressenti global dans un contexte historique. La revendication de l'innovation technique est "cocasse" (dixit) car cette dernière est quand même bien placardisée depuis les années 90.
La contestation publique hors de l'entre-soi du portail "Push'n'Pop" a donc été vécue comme un outrage. Si ce mérite n'est pas reconnu, c'est qu'on n'y comprend rien au CPC ! Parole de ceux qui connaissent vraiment le CPC 🤪 ...
Les critères d'évaluation du "mérite" sont d'ailleurs à géométrie variable. On y trouve parfois des réponses à des défis sans grand intérêt, notamment lorsque les règles sont unilatéralement fixées ou modifiées, ou encore des réalisations techniques classées arbitrairement dans le rayon "nouveautés techniques". On pense ici au concours de "boules" (sans mauvais jeu de mot) ou aux "Splitrasters" que j'évoquais ici.
La "paternité" des techniques ou des effets, les "records" et "prouesses" pour savoir qui a ajouté 3 lignes pixels de plus que son voisin (et quand) sont un des fils directeur de l'ouvrage, qui passe donc de fait en grande partie à côté de son sujet :
L'auteur a utilisé pas moins de 380 fois l'adjectif "Premier" dans son ouvrage !
Les imposteurs du passé !
La méritocratie, qui signifie littéralement "pouvoir aux méritants", peut être intériorisée comme un "principe de justice". C'est sur ce principe que l'auteur va se fonder pour jouer les redresseurs de torts dans son livre.
L'auteur va par exemple disserter à l'envi dans son roman sur la "Longshot Demo", qui doit certainement cristalliser pour lui ce mérite injustement reconnu :
Il aurait pu écrire que c'était une erreur que des personnes aient pu croire ça, mais il pose comme un "fait établi" qu'une "rumeur" m'attribuait injustement le "mérite" d'être l'inventeur de la rupture et du scrolling hard 🤣
Sauf qu'il ne démontre pas cette rumeur, qu'il a sans doute inventée puisque c'est une technique qu'il utilise fréquemment pour ses "démonstrations". Cette rumeur est d'autant plus étonnante que je n'ai jamais caché à personne comment j'avais compris la technique de la rupture.
Cela démontre que je ne revendiquais rien, et il est assez évident que personne n'a jamais pu croire une seconde que j'étais le premier à faire un scrolling hardware, puisque les routines de ce type pullulaient dans les magazines pour le CPC, comme je vais le démontrer dans un prochain billet.
On notera que l'usage de l'adjectif "abusif" utilisé par l'auteur est assez révélateur de sa notion de justice méritocratique.
L'auteur pense que les choses auraient été différentes si les démos de NWC avaient été mieux diffusées. Sauf que la démo Remix-I de NWC est citée dans le scrolling de ma démo Revolog et a donc été diffusée en même temps sur la scène française, qui a commencé à réellement exister à partir de octobre 1989. La démo "Final Creation" de NWC n'a été diffusée qu'en 1990 en France.
L'auteur a d'ailleurs une théorie brillante (et lustrée) pour démontrer comment cette injustice a débuté :
Logon a aspiré toutes les forces vives de la scène démo et le magazine Amstrad 100% les a tellement "chouchoutés" qu'ils sont devenus "cultes" et "intouchables". Ils n'avaient plus qu'à "administrer" leur "célébrité" et l'entretenir :
C'est bien connu, Logon System n'a plus rien fait ensuite...🤣
Dépassés et enterrés...
Que faire donc de ces mécréants d'"ex méritants", ces "anciens" qui ne produisent plus (assez), mais qui profitent encore "injustement" d'une reconnaissance portée par la nostalgie du monde rétro.
Selon l'auteur, une injustice qui n'avait que trop duré et qui va engendrer quelques "hommages" posthumes, comme on l'a vu dans mon précédent billet ! Et quoi de mieux qu'un roman à charge pour rétablir la vérité et la justice.
Dans notre période plus contemporaine, après les années 2000, l'auteur m'avait déjà enterré ⚰️ ou rangé dans la catégorie "outdated"...
Je pense pouvoir affirmer que Overflow en prenait également le chemin.
Il était déjà pris pour cible en novembre 2010 par l'auteur, qui l'accusait d'avoir un "égo surdimensionné malgré sa décrépitude" et de vouloir "prendre le contrôle de la scène". 😲
Vous le sentez arriver, le tome 2 ? 🍒
Overflow, la vieille légende (agonisante) n'était alors plus que 6ème dans le top five Vanity de 2011 🤣.
Lorsqu'il va présenter sa démo "Logon's Run" durant le meeting "Revision 2017", elle sera unanimement reconnue au-delà même de la scène CPC.
Cela va quelque peu compliquer ses funérailles ! 😬
Toms ne pourra que commenter positivement la démo sur le portail "Memory Full", mais va de manière peu élégante supposer que Overflow a passé 14 ans sur sa production pour justifier qu'elle soit "bien ficelée".
On peut s'étonner que les chantres de la justice méritocratique s'arrogent sans vergogne une partie de son "mérite" en indiquant que ce sont deux productions de Vanity qui l'ont fortement influencé ! Et ce d'autant que c'est inexact.
C'est une très bonne chose si Overflow aime partager son travail et ses connaissances. Tout le monde ne peut pas en dire autant, malheureusement...
Si ce visiteur perdu a eu "droit" malgré lui à un historique détaillé de Logon System, au moins c'était quelque chose de véridique !
Comme on vient de le voir, cette conception très particulière des démos permet de comprendre les intentions cachées derrière les méthodes narratives utilisées.
"Yes, demomaking can't and shouldn't be mainstream!" (dixit)
Bientôt un match sans pitié va opposer programmeurs de jeux et de démos !
Les carottes sont-elles plus savoureuses que les choux ?
Faites vos paris !
Longshot / Logon System